les chemins du paysage

C’est toujours portée par trois références que Blandine Galtier produit au sein de son atelier. Le fruit de son travail est imprégné de celles-ci. Il y a d’abord deux recueils de poèmes d’Émile Verhaeren « Les campagnes hallucinées » et « Les villes tentaculaires » qui abordent l’invasion à la fois industrielle et urbaine de la campagne et sa disparition inéluctable. Vient ensuite sa fascination pour une esthétique (cinématographique) apocalyptique ; une manière de questionner le besoin qu’a l’Homme de bâtir inexorablement, de se mesurer à la nature. Et enfin l’archéologie, comme suite logique à ces deux références, cette envie de donner à voir des indices révélant le fonctionnement d’une civilisation disparue.
L’artiste travaille principalement sous l’impulsion d’un projet. Le but à atteindre (en un temps donné et suivant un thème défini) génère une pression positive ainsi qu’un investissement intense qu’elle affectionne particulièrement. Chaque nouveau projet est une mise en danger volontaire notamment par l’expérimentation (sortir de sa zone de confort), l’apprentissage de nouvelles techniques et cela au service de son idée. Si Blandine Galtier maîtrise parfaitement les techniques traditionnelles de la gravure que sont l’eau-forte et l’aquatinte, elle voit en elles des outils qu’il faut parfois étoffer pour permettre une exacte restitution de ce qu’elle désire exprimer.
C’est dans ce contexte qu’elle appréhende par exemple le carborundum, une technique singulière lui permettant de traduire la boue, matière très présente sur un chantier de construction dont elle livrera son regard d’artiste. À chaque fois, il s’agit de trouver la bonne réponse et donc le bon médium en phase avec sa pensée.
Dans cet esprit apparaît le gaufrage du papier. « Nature morte » est une série réalisée sur le thème de l’autoroute. L’artiste y retire toutes références aux personnes ayant érigées ces infrastructures. (Le simple fait de montrer ces routes suffit à évoquer l’Homme).

Le gaufrage intervient pour signifier ce qui ne peut pas être perçu dans l’image : le mouvement et le bruit. Ainsi, sont associées à la gravure des flèches et des lignes courbes uniquement révélées par les ombres portées sur le papier. Le sujet ainsi traité offre une double lecture : la confrontation d’une gravure figurative statique, froide, à la présence forte due au jeu de contrastes ; à l’appréhension de lignes graphiques silencieuses, sensibles imprégnées dans le papier nous emmenant vers un ailleurs, une forme de rêverie. De la même façon, il est fréquent que Blandine Galtier découpe sa plaque suivant les contours de la forme pour ainsi la libérer et faire en sorte que la représentation interagisse avec le papier. Ce dernier n’est alors plus qu’un simple support d’impression, mais contribue à la compréhension de l’image.
Blandine Galtier est une observatrice, un témoin subjectif de notre paysage urbain. Elle a pour les usines, comme la raffinerie de Feyzin, les échangeurs autoroutiers, l’architecture en générale, une forme de fascination. L’artiste y voit de la poésie et c’est bien ce qu’elle tente de traduire dans son travail. Comment donner à voir son propre regard sur ces constructions, transmettre cette poésie qu’elle décèle ? Ainsi Blandine Galtier, dans ses recherches, tente de comprendre d’où vient cette beauté pour mieux nous la montrer.
Le travail de l’artiste est marqué par trois composantes récurrentes : le contraste — usage du noir et blanc, la lumière — révélée notamment par les reliefs dans le papier, et la ligne — qu’elle soit figurative, graphique ou abstraite. Si les représentations de Blandine Galtier sont toujours ancrées dans le réel, son interprétation fait parfois basculer l’image du côté de l’abstraction. C’est peut‑être à ce moment-là que l’architecture, le paysage urbain laissent place à la poésie.
L’ensemble de la production de l’artiste est traversée par une chose : l’Homme et son besoin d’ériger des bâtiments, l’Homme et sa lutte incessante contre les forces de la nature.

Virginie Baro